TribuneAprès le 09ème CBF, comment mettre en place un nouveau pacte de co-construction ?

Après le 09ème CBF, comment mettre en place un nouveau pacte de co-construction ?

L’intrusion de la Chambre de Commerce met à mal la volonté affichée des parties prenantes – Gouvernement et Plate-forme du Secteur privé – de construire un dialogue public/privé renouvelé, dont l’indépendance et la représentativité des porte-parole du secteur privé est un préalable.

Par Francis A. Sanzouango

Ancien secrétaire général du GICAM

Le Président de la Chambre de commerce, de l’industrie, des mines et de l’artisanat (CCIMA) a cru devoir justifier son allocution lors de la 9ème édition du CBF par le fait – a-t-il dit en substance - que l’institution qu’il préside représente l’ensemble du secteur privé alors que la Plate-forme du secteur privé – son Président et par ailleurs Président du GICAM venait de s’exprimer - ne rassemble que 400 entreprises.

Cette posture appelle de ma part les remarques et réflexions suivantes :

Il est vain d’opposer ces « 400 entreprises » et le reste des entreprises. Ces 400 entreprises c’est plus de 90% de la contribution du secteur privé aux recettes fiscales de l’Etat et au PIB national.

Les autres entreprises, pour l’essentiel des PME, représentent un formidable potentiel. Elles représentent en nombre une proportion majoritaire des membres du GICAM. En attendant qu’elle transforme en réalité leur potentiel de puissance financière et fiscale et même au-delà, les 400 entreprises méritent un respect à hauteur de leur contribution au développement de l’économie camerounaise.

Les entreprises privées sont des entités autonomes. De leur gré, elles unissent leurs efforts au sein d’organisations d’entreprises qu’elles créent, les modèles les plus connus étant les associations professionnelles et les organisations patronales. Ce sont ces organisations qui les représentent et parlent en leur nom dans les instances de dialogue et de négociation avec l’Etat ou avec les Syndicats des travailleurs. Ces organisations sont indépendantes de tout groupe autre que leurs mandants. Il sied donc de rappeler qu’une institution représentative du secteur privé ne peut tirer sa légitimité que des entreprises qui, par leur adhésion, lui donne un mandat politique à cet effet. La CCIMA n’a reçu aucun mandat des entreprises, celles-ci en font partie obligatoirement du fait de leur immatriculation au registre du commerce, conformément à la législation.

Aucun dialogue Etat – Secteur privé n’est possible avec des institutions qui n’ont pas vocation à défendre les intérêts des entreprises privées. C’est le cas, en l’occurrence, de la CCIMA, établissement public. Du reste, la pratique des affaires montre à l’évidence l’absence de la CCIMA lors des négociations, excepté une fois l’an lorsqu’elle intervient, comme ce fut le cas il y a deux semaines, avant le Premier Ministre dans le cadre du CBF.

Nous le savons, les enjeux économiques et sociaux auxquels fait face le Cameroun sont de taille. Les organisations patronales, qui tirent leur légitimité des entreprises, sont au cœur du débat économique et social. Leur indépendance et leurs capacités techniques – pour celles qui en sont dotées, ce qui n’est pas le cas de toutes – sont le gage d’un dialogue constructif et efficace. Ne nous y trompons pas ! Le porte-parole du secteur privé ne peut pas être une institution publique. Le jeu des intérêts fait que, parfois, les négociations sont dures. Dans ces instants, seule une institution indépendante peut adopter des postures en rapport. La difficulté structurelle de la CCIMA est consubstantielle à ses textes organiques.

D’abord, ceux-ci sont conçus par l’Etat et font l’objet d’un décret du Président de la république. Ensuite, le décret présidentiel en date du 27 novembre 2001 et portant changement de dénomination et réorganisation de la CCIMA, dispose que : (i) la Chambre est un établissement public, (Article 3-1) ; (ii) la Chambre est placée sous la tutelle du Ministre en charge du commerce (Article 3-2) ; (iii) le ministre de tutelle peut faire inscrire des questions à l’ordre du jour des réunions de la Chambre, (Article 23-1) ; (iv) le ministre de tutelle et d’autres membres du Gouvernement peuvent également assister ou se faire représenter aux réunions de la Chambre (Article 23-2) ; (v) le président est nommé par décret du Président de la République parmi les 160 élus (Article 25-2) ; (vi) les ressources de la Chambre sont constituées ….. de la subvention inscrite chaque année au budget de l’Etat, (Article 37-1) ; (vii) les ressources de la Chambre sont des deniers publics, (Article 37-2) ; (viii) l’Assemblée plénière peut être dissoute par décret du Président de la République sur proposition du ministre de tutelle … (Article 56). A l’évidence, la Chambre n’est pas indépendante de l’Etat, elle ne bénéficie pas de la marge de manoeuvre nécessaire pour agir efficacement, en toutes circonstances, au nom d’intérêts qui peuvent parfois être en opposition avec ceux de l’Etat.

D’où cette interrogation : pourquoi la CCIMA a-t-elle parlé au nom du secteur privé ? Certainement une confusion d’intérêt et de rôle. Cette intrusion, utile pour la communication de positionnement de la CCIMA, met à mal la volonté affichée des parties prenantes – Gouvernement et Plate-forme du Secteur privé – de construire un dialogue public/privé renouvelé, dont l’indépendance et la représentativité des porte-parole du secteur privé est un préalable.

C’est ainsi qu’à l’international, il ne vient à l’idée de personne de faire représenter le secteur privé par les chambres de commerce. Lorsque la Banque Mondiale ou le FMI interviennent au Cameroun, leur interlocuteur au sein du secteur privé c’est en toute logique le patronat. Dans nombre de pays africains anglophones, il existe des chambres de commerce. Ce sont des structures privées dans lesquelles l’adhésion se fait sur une base volontaire et dont le mandat est purement commercial, leur mission étant principalement de stimuler les relations d’affaires entre les membres. Elles cohabitent en bonne intelligence avec des organisations d’employeurs dont le mandat relève des relations professionnelles et du social et qui font office de porte-parole du secteur privé. A noter que les organisations patronales en Afrique francophone ont un mandat universel couvrant l’économique, les relations professionnelles et le social.

Il est donc temps de mettre un terme à cette communication de positionnement qui fait perdre du temps et de l’énergie. Il est temps de se débarrasser des vieilles et inopérantes postures qui fragilisent l’action de représentation des entreprises dans son essence et sa globalité. Les missions de la CCIMA, de consultation, de promotion économique, de formation professionnelle, sont suffisamment nombreuses, importantes et gratifiantes, qu’il n’est point besoin d’en rajouter qui ne relèverait pas du champ de ses responsabilités.

Si sur les dernières années, bien de choses ont changé, deux choses ne l’ont pas été. La première, c’est le retard économique de notre pays et les difficultés à franchir un nouveau palier sur le chemin du développement. La deuxième, c’est le rôle-clé l’entreprise comme créateur de richesses et d’emplois. La crise actuelle et la signature il y a neuf mois d’un nouveau programme économique et financier avec le FMI, donnent encore plus de résonance à ce double constat. Il rappelle brutalement au Gouvernement et au Patronat, leurs responsabilités de construire enfin un pacte de co-construction dans lequel chaque partie est à sa place et rien qu’à sa place, et donne le meilleur d’elle-même, car forte de sa légitimité.

Les organisations patronales sont porteuses d’une vision de l’économie basée sur la libreentreprise comme moteur de l’économie ainsi que sur la prise en charge et la promotion des intérêts des entreprises. En conséquence, les organisations patronales se doivent d’être indépendantes de toute autorité autre que celle constituée par leurs mandants. C’est une exigence pour leur crédibilité et leur capacité de rassemblement. La CCIMA a-t-elle été un jour porteuse d’un tel pouvoir d’entraînement des entreprises autour des valeurs d’indépendance, et le peut-elle vu statut ? De la même manière qu’un Gouvernement s’efforce de fonder un pacte de confiance entre lui les populations qui l’ont majoritairement élu, une organisation patronale est à même de fonder un pacte de confiance entre elle et ses membres entreprises qui ont adhéré à elle en toute liberté et conscience, et non à la faveur d’une obligation légale.

Parce que le secteur privé ne peut laisser le monopole de la préparation des décisions et législations économiques à l’Etat, même si ce dernier est le décideur en dernier ressort, le pacte de co-construction Etat - Secteur privé est la confrontation de contributions au développement économique du Cameroun voire de visions. Plusieurs logiques peuvent cohabiter dans ce contexte : l’une de consensus et l’autre de confrontation. Le patronat a choisi la logique de responsabilité : ni se soumettre au politique ni le combattre. Le Patronat n’est pas l’adversaire ni le concurrent du Gouvernement - dixit le Président de la Plate-forme du Secteur privé -, ce faisant, il reste conscient qu’en fonction des circonstances, il peut être amené à s’inscrire temporairement dans l’affrontement, ce que fort logiquement la CCIMA ne saurait assumer.

Le dialogue public – privé n’est pas une fin en soi. Il est un outil, un important levier de compétitivité pour l’économie. Aujourd’hui, cette exigence est d’autant plus prégnante que l’économie camerounaise donne l’impression de décrocher face à de nombreux défis. Pour ma part, trois principaux problèmes ressortent de l’économie du Cameroun : la crise de confiance, la crise de l’investissement, la crise de gouvernance, avec comme conséquence l’insuffisance de la croissance et d’innombrables difficultés pour les entreprises et les populations.

La crise de confiance notamment est, pour le secteur privé, l’expression d’espoirs déçus à ce jour quant à la capacité nationale à asseoir les conditions cadres de l’émergence économique et du progrès social durable du pays. Elle se nourrit de la frustration qu’engendre le sentiment d’efforts non récompensés et l’absence d’une administration pro-business. Le redressement économique passera par une révolution des mentalités propre à favoriser l’émergence d’un dialogue renouvelé entre un Etat/administration pro-business et un patronat indépendant, représentatif et techniquement compétent, un dialogue rénové tant dans son esprit que ses structures et ses mécanismes de conception des politiques, de leur mise en oeuvre et de leur suivi-évaluation.

 

 



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